NATASCHA NIEDERSTRASS
RUINENLUST
28 SEPTEMBRE AU 9 NOVEMBRE 2024
VERNISSAGE :
SAMEDI 28 SEPTEMBRE 2024
14H - 18H
Le corpus intitulé, Ruinenlust se penche sur une curieuse psychopathologie qui consiste à être attiré par ce que l'on craint le plus. Nous ne tombons pas simplement sur des ruines, nous les recherchons pour nous attarder parmi leurs formes chancelantes, moisies - le grand rythme brisé des voûtes qui s'effondrent, des colonnes tronquées, des socles qui s’effritent - et savourer le frisson du déclin et de la chute, de la totalité déstabilisée.
La nouvelle exposition de Natascha Niederstrass aborde cette fascination pour la décomposition et le morbide tout en faisant émerger un imaginaire post-romantique de l'espace en ruine en relation avec son histoire. Ce travail s’intéresse plus spécifiquement à l'île inhabitée de Poveglia, située dans la lagune vénitienne, ayant récemment acquis une renommée mondiale en tant qu'"île la plus hantée du monde".
Niederstrass examine également par le biais de ce corpus, la manière dont ce récit a rebondi sur l'île, attirant les adeptes du paranormal. Derrière un récit apparemment trivial, l’état d’entre-deux ou transitoire des fantômes (conçus comme des objets culturels capables d'activer une sphère émotionnelle qui va au-delà de la compréhension rationnelle des lieux) permet de reconceptualiser les discontinuités du temps et de l'espace, la déconnexion entre les cultures vernaculaires et académiques et les dichotomies classiques attribuées aux espaces insulaires. Le cas de Poveglia montre comment les fantômes peuvent façonner la manière dont les récits sont racontés et révèle comment notre désir de mythifier le réel transcende les faits historiques.
La matérialité de l'île abandonnée et la dynamique d'un retour partiel à la nature sauvage, la dégradation des bâtiments non entretenus a réduit certaines structures à l'état de vestiges qui ont été progressivement envahis par la végétation. Ce processus a conféré à l’endroit une aura d'imperméabilité, d'obscurité et de mystère, surtout si on la compare au paysage vénitien hautement domestiqué et urbain.
C’est dans cette optique que l'île de Poveglia incarne parfaitement le gothique, conférant cette peur de l’héritage dans le temps avec un sentiment claustrophobe d’enfermement dans l’espace. Les clichés culturels qui tendent à concevoir l'insularité comme une métaphore de la mort et du mystère a été renforcée dans ce cas par l'arrière-plan de Venise, une ville qui s'enorgueillit de son récit de décadence. En ce sens, il est donc également impossible de nier le paradigme selon lequel Venise est vue et perçue depuis le XIXe siècle telle une cité dont la déchéance est inévitable et dont le dépérissement macabre et la mort flamboyante ont contribué à construire le mythe qui l’entoure. D’ailleurs, un nombre effarant de touristes y viennent chaque année pour la voir mourir.
C’est en mettant en relation multiple dialogues entre les sources de connaissances expertes et leur réception populaire, entre l'imagination et la réalité, entre les suggestions et les "fake news" et entre l'histoire officielle et les récits vernaculaires que Niederstrass tentera de comprendre le récit de Poveglia hanté. Le corpus sera constitué de photographies captées par l’artiste lors de deux expéditions illégales sur l’île interdite afin d’observer les lieux, ce qu’il confère, des documents officiels et historiques, des entretiens avec des citoyens vénitiens et des extraits issus des médias qui jouent un rôle important dans les représentations et les fictionalisations de l’île de Poveglia aujourd’hui.
Le cas de Poveglia démontre comment les fantômes, voulus et perçus par différents acteurs comme des métaphores, des présences, des absences, des entités liminales ou même comme des appâts sensationnalistes faciles, répondent à un besoin de se réapproprier le réel pour le transporter dans le monde des mythes et ainsi se donner une certaine impression d’emprise sur la réalité qui nous échappe.